Cela m’aura pris près de 4 jours pour écrire cette entrée suite à notre arrivée du périple d’Oeiras à Vilagarcia de Arosa, traversée la plus longue à date, 72 heures.
Ce temps d’arrêt aura été provoqué par des circonstances relatées à la toute fin de cette entrée.
Traversée longue et difficile sur plusieurs points. Nous étions partis de Oeiras après presque 3 jours d’arrêt pour réparer la toilette (encore, encore, toujours, et sans succès) et se préparer car nous visions comme prochaine escale La Coruña, tout au nord du Cap Finisterre en Galice, un point de chute fréquent avant le passage du Golfe de Gascogne. Nous avions 310 miles pour se rendre, donc nous prévoyions 3 jours pleins en haute mer, et un passage du Cap Finisterre mouvementé car c’est une zone connue de courants et vents forts, sans compter la présence de très gros cargos en grande quantité.
Le départ s’est fait en début d’après midi le 22, et nous avons eu un peu de vent au début. Ensuite, rapidement le vent est tombé, et la mer s’est aplatie, et cela durera 2 jours pleins… de plus, le peu de vent qu’il y avait venait de la direction même où nous allions, donc très tôt nous avons dû dévier de notre route pour aller un peu plus au large pour prendre le vent sur notre travers.
Robin s’était octroyé a responsabilité de prendre la météo et de faire les pdf des cartes de vents pour les 3 jours. Hors comme nous avions prévu partir la veille, il les fit une journée trop tôt, et le lendemain Bernard lui avait demandé de les refaire; il a fait à sa tête, a comparé les cartes et jugeant qu’elles n’étaient pas suffisamment différentes, ne les refit pas. Lorsque nous avons commencé à dévier de notre route vers le large, et avons réalisé le peu de vent qu’il y avait et notre très lente progression (moins de 3 nœuds – 6 km - à l’heure les premières 24 heures), Bernard a voulu refaire une stratégie de route avec la météo, compte tenu qu’après une pleine journée nous étions déjà 50 milles en retard sur nos prévisions, i.e. à notre vitesse environ 18 heures de retard. Robin s’est mis à raconter un peu n’importe quoi, nous enjoignait d’aller plus au large (nous étions déjà à 70 milles des côtes) car il nous parlait de vents de nord-ouest qui allaient nous ramener vers la côte, se fâchait quand on lui demandait les fichiers météo en nous disant qu’il s’en rappelait, etc. Nous avons fini par comprendre que ses fichiers météo finalement étaient maintenant caducs car ils avaient été faits en prenant pour acquis un départ 24 heures plus tôt, et en plus finissaient trop tôt car nous avions maintenant près d’une autre journée de retard. Bref, de la merde…
Cette deuxième journée fut donc longue et plate, sans vent, du soleil malgré tout, beaucoup de moteur, et des obstinations constantes entre tous sur la route à suivre. Moi je nous voyais nous éloigner de notre but de plus en plus basé sur de fausses présomptions, alors que ça faisait 36 heures que le vent était de nord-nord-est et ne bronchait pas de plus de 10 degrés, mais j’en étais venue à tellement redouter le désaccord avec Robin que je me suis fermée la gueule; jusqu’en milieu de la 2eme nuit, quand Bernard m’a relevé de mon quart, pour finalement lui dire ce que je pensais : que nous devions à tout prix changer de cap vers les côtes, pour s’approcher un peu et éviter de se retrouver à revenir vers le Cap Finisterre face au vent de nord est lorsque les vents forciraient, et que Robin racontait n’importe quoi pour se rendre intéressant et qu’il n’y aurait jamais de nord-ouest car je les avais vu les fichiers et que tout ce que nous courrions c’était le risque de se retrouver trop loin des côtes et de manquer de fuel à un moment donné si le vent ne devenait pas plus favorable. Bref, j’en avais marre et mon « gut feeling » de marin, que j’ai découvert en fait pas trop mauvais, me lançait pleins de signaux d’alarme.
Bernard m’a admis que j’avais fort raison (crisse, il aurait pu le dire plus tôt) et à partir de ce moment, c’est ce que nous avons fait. Cap au 040 degrés!
Au cours de la 3e journée, nous avons eu un peu de vent et dans un angle qui nous permettait un cap pas trop éloigné de notre route visée, et nous avons un peu rattrapé de temps. Par contre, il était clair que nous ne nous rendions pas à La Coruña en moins de 4 jours. Nous en étions à nous demander si on s’arrêtait dans un port avant - car la nourriture n’était plus abondante à ce point-là - quand nous avons vidé le réservoir d’eau potable principal pour réaliser que la valve qui permettait de changer pour les 2 autres réservoirs était bloquée, et nous nous sommes du coup ramassés sans eau dans le bateau. Évidemment, l’eau du réservoir n’est pas pour boire, nous avions assez de bouteilles pour ça. Mais c’était l’eau courante pour laver la vaisselle, se laver, etc. Ce facteur, en plus de m’enrager car c’était une chose de plus qui flanchait, scella la décision de mettre le cap sur une ville au sud du Cap Finisterre afin d’y faire une halte.
Une autre chose qui marqua ce voyage, mon titre l’illustre, fut de se retrouver en plein milieu d’un rail de navigation où passent les plus gros cargos du monde,
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étant donné que nous avions viré au large de la zone côtière de navigation. Des cargos immenses en direction de la Manche ou de Vigo, un des plus grands ports d’Europe de l’ouest. Le jour nous les voyions bien venir, malgré que certains ne se gênent pas et te klaxonnent si tu es un tant soit peu sur leur route. Mais la nuit c’était un peu l’enfer. Essayer de décoder les lumières des cargos venant et des cargos allant, en tentant de déchiffrer leur route et leur vitesse afin d’évaluer si nous étions dans leur passage, constituait le défi principal de la navigation nocturne.
Malgré ces frustrations, je dois dire que de très beaux moments furent passés en compagnie des centaines de dauphins qui nous rendîmes visite durant ces trois jours et qui ont véritablement fait ma joie.
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Ce sont des êtres magnifiques à tout moment, mais quand ils viennent jouer dans l’étrave de ton bateau pendant 20-30 minutes à plusieurs reprises, en te régalant de cabrioles et de sauts spectaculaires, surtout quand ils se synchronisent et sautent à 30 ou 40 en même temps, ils te paraissent d’un autre monde. J’ai adoré et me suis régalée.
La dernière nuit fut plutôt difficile, car nous sommes soudainement passés de peu de vent à beaucoup de vent, et la mer s’est levée soudainement. J’ai pris le quart de 21h à minuit, qui fut assez facile et excitant car c’est durant ce quart que nous avons recommencé à voir les côtes après 60 heures! Et une quinzaine de dauphins se sont joints à moi et au bateau vers 21h10, juste quand le soleil disparaissait, et sont restés presque une heure à m’accompagner dans mon quart!!! Incroyable!
Je suis allée me coucher à minuit en donnant la barre à Bernard, mais ai été réveillée subséquemment à plusieurs reprises par la mise en marche du moteur puis l’arrêt, ce qui signifie habituellement que le vent tournaille et que la personne à la barre perd le contrôle du bateau à répétition. Puis vers 03h00, je suis réveillée par une altercation entre Robin et Bernard dans le cockpit (ma cabine était juste en dessous). J’ai à peine dormi 2 heures et fut réveillée plusieurs fois entre temps. Je réalise que je suis collée contre la paroi de ma couchette et que le vent siffle beaucoup plus fort que quand je me suis couchée. Après une heure passée à essayer de me rendormir, je monte au cockpit pour trouver les gars en pleine tempête de vent, le bateau gîte furieusement, et la mer est devenue grosse d’un coup. Personne ne dormira plus cette nuit-là. Je prends mon courage à deux mains et fait du café pour les gars (je suis devenue top à faire à manger en dessous même en cas de gîte forte, le mal de mer du premier jour ayant disparu après cette première et seule occasion malheureuse), je m’habille et monte sur le pont pour aider Bernard à prendre un ris dans la voile (réduire la voilure afin d’avoir moins de prise sur le vent) – opération facile quand tout est calme, mais plutôt délicate à 04h30 du matin en pleine mer déchaînée. Mais au moins nous sommes sur notre bon cap, en direction de Vilagarcia de Arosa, même si on n’avance pas trop vite…
Je prends mon prochain quart à 06h00 le matin, en pleine tempête de vent. Nous approchons des côtes et on navigue à vue avec les quelques phares qui sont perceptibles, réalisant tout de même que le vent et la très grosse houle contre nous ne nous aident pas…. Sur les coups de 08h00, alors que des lueurs rouges se pointent à l’est, des dauphins arrivent et m’accompagnent, me réconfortant. Ils auront navigué avec moi au coucher du soleil et m’auront lancée dans la nuit, et ils m’auront récupérée au petit matin alors que j’étais fourbue de tenir la barre comme si ma vie en dépendait et très très écoeurée… braves petites bêtes!
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Nous rentrerons finalement dans le Ria de Arosa, une des fameuses rias de Galice, vers 9h00, pour accoster à Vilagarcia, 15 miles en amont du Ria, 3 heures plus tard. Nous sommes épuisés par cette traversée, et dormirons une partie de l’après-midi.
Après cette traversée, j’ai pas mal décidé que je ne ferais pas le Golf de Gascogne. Mais Bernard se fait insistant au souper, et on regarde la météo qui s’annonce fort belle pour un départ 2 jours plus tard. Je flanche et j’accepte de le faire avec eux sachant à quel point cette navigation de 5 jours en pleine mer sera dure s’ils ne sont que deux. Je décide de le faire également par loyauté pour Bernard, qui malgré tout a veillé sur nous et se trouve dans une situation difficile de devoir ramener son bateau à Dunkerque pour le rénover, dans des conditions loin d’être idéales. Et Robin s’est tenu relativement tranquille dans les 3-4 derniers jours et a été un peu moins désagréable. Nous avons décidé de ne pas aller à La Coruña et de foncer tout droit sur la pointe bretonne. Nous en avons pour 500 milles, ouf! À une vitesse à peine plus grande que celui d’un pas de course, c’est long…
Hors, tout basculera le soir du 26 alors que nous sommes à la veille du départ et nous nous préparons à aller faire l’avitaillement pour la longue traversée. Nous montons du ponton à la rue et Bernard empoigne un « caddy », panier d’épicerie mis à la disposition des plaisanciers qui n’ont pas de voiture dans de nombreux ports d’Europe. Robin pique une petite crise et refuse de pousser le caddy dans la rue car ça a l’air fou… Bernard se fâche et le traite de gamin, ou je ne sais pas quoi. Robin hurle, se fige sur place, envoi Bernard paître et finalement me lâche de ne pas faire de courses pour lui, qu’il retourne faire son sac et se barre. Bernard, tout aussi enfant, se retourne vers moi, hausse les épaules et me dit : allez viens, on va faire les courses. Soupir… Les émotions se bousculent en moi, je suis écoeurée de ces débordements de caractère, et cela ramène à grands pas toutes mes résistances à continuer. Je n’ai aucun doute que Robin s’en va vraiment, il est beaucoup trop « fier-pète » le monsieur, et a la capacité émotive de règlement de conflit d’un enfant de 3 ans. Bref, tout d’un coup la continuation à deux est inenvisageable, et la fatigue et la lassitude ont raison de moi. Je m’arrête, prends mon courage à deux mains, et déclare à Bernard que ça y est, j’en ai marre, je ne peux pas envisager de faire la traversée à deux; c’est physiquement et émotivement trop demandant. Je décide de m’écouter et de me choisir, mais ce sera une décision extrêmement difficile à porter face à Bernard, sachant pertinemment que je l’abandonne d’un coup et que je lui laisse que peu de choix… Je passerai la soirée à défendre cette décision et à prendre la responsabilité de mon geste face à lui. Il passera par toutes les émotions, le déni, la déclaration que je l’abandonne au pire moment, la croyance que je blague, les menaces à peine voilées de partir avec le bateau dans la nuit avec moi qui dors, l’affirmation qu’il continuera et fera les 500 milles tout seul et coulera avec le bateau s’il le faut, déclare qu’il ne le dira pas à sa compagne avec qui il parle journalièrement et s’en ira en mer sans lui raconter qu’il y va en solitaire, etc. J’ai beaucoup de compassion car entreprendre un tel périple (il est parti il y a plus de 2 mois de Rome avec le bateau) demande un investissement énorme, et il espérait s’être entouré d’une équipe qui allait l’aider à bien mener à terme son projet. Mais ceci n’est plus des vacances pour moi – c’est devenu une corvée, un périple qui ressemble à un chemin de croix malgré tous les beaux moments. Je me sens déchirée entre la loyauté, le désir de mener à terme ce que j’ai commencé, mais aussi la nécessité de « sauver ma peau » en quelque sorte en me sortant d’une situation qui a soudainement perdu tout son lustre. Je suis honnête avec Bernard, je lui dis à quel point son attitude de laisser-faire et de tolérance avec Robin aura finalement miné cette équipée, et ma lassitude par rapport à l’état du bateau et les innombrables brisures et réparations, ainsi que ma grande fatigue physique. Il me redira à quel point il aurait voulu que je continue avec lui. Cette soirée-là sera extrêmement difficile, me mettra face à moi-même et pourquoi j’ai entrepris ceci, me révèlera toute la signification de ce que c’est d’encaisser l’impact que tes décisions peuvent avoir sur les autres et à quel point c’est parfois difficile d’assumer… mais comment quand tu le fais comme il faut, l’expérience humaine en est tellement plus riche.
Donc ici se termine mon histoire sur Sunrise. Le lendemain matin, Bernard s’est calmé, et je l’aide à répondre à des petites annonces d’offres d’équipiers postés dans les forums dont nous faisons tous les deux partie. Il décide de longer les côtes, et de tenter d’obtenir l’aide de quelqu’un d’autre pour l’aider à finir la route. Moi je ne dormirai pas bien pendant 2 nuits, mais ma décision est prise. Je contacte le skipper qui m’attendais en Turquie et lui annonce mon arrivée pour le 30 septembre. Nous nous serons quittés en très bons termes ce matin, moi l’ayant aidé à préparer son périple, à arranger le bateau, lui m’ayant gardé à bord pour 2 nuits supplémentaires, et m’ayant reconduit au train pour Vigo ce matin. J’aurai vécu l’Atlantique et ses beautés, mais aussi ses vacheries, et j’aurai surtout vécu des expériences humaines, belles et mauvaises, que je ne soupçonnais pas en partant il y a un mois. Voilà pour cette fenêtre dans mon âme!
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