Dès le départ de Cadiz, les vents nous viennent de la mauvaise direction, c’est-à-dire en voile à l’intérieur de 40 degrés de là où on veut aller. Nous avions pris la météo et prévu le coup dans notre planification de navigation, donc déjà nous louvoyons (i.e. « tirer des bords », aller en zigzaguant en direction du vent, de part et d’autre de sa provenance). Ce qui fait plus de millage car nous ne pouvons avancer en ligne droite, mais nous avançons au moins. Et vite! Déjà au départ, on fait plus de 6 nœuds, malgré la houle qui monte haut et vite. 3 heures plus tard, nous rencontrons 25 nœuds de vent, et des vagues de 4-5 mètres.
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Ouch! Nous nous ferons brasser comme ça pendant 31 heures. Comme nous sommes au près, c’est-à-dire que le vent nous vient d’entre 30 et 40 degrés dans le quart avant du bateau, nous gîtons beaucoup, ça brasse en masse, on tape dans la vague. C’est difficile de descendre en bas dans la cabine, ça penche de 45 degrés, et on se fait projeter de part et d’autres. J’ai des bleux énormes partout!!! Il est hors de question de faire à manger, c’est tout juste si on attrape des biscuits secs dans le garde-manger de temps en temps. La vague se fracasse aussi sur le bateau, donc forcément nous sommes trempés.
Ça va toujours jusqu’au coucher du soleil, mais une fois la noirceur tombée, c’est moins drôle. Nous avançons toujours aussi vite par contre, le bateau est déchaîné. Il tient très très bien la mer, ça je dois dire. Je n’ai pas peur en aucun moment. Par contre, quand je prends mon quart de 21h00 à minuit, je la trouve moins drôle. Nous sommes en plein Atlantique – à 30 milles des côtes. Nous n’avons pas vu une lumière de côte, de phare ou d’autre bateau pendant 24 heures. Tu dois t’accrocher à la barre pendant 3 heures, tes jambes se crampent, tu ne peux pas aller faire pipi, tu peux à peine attraper la bouteille d’eau qui se promène dans le cockpit pour boire un coup d’eau (mais pas trop car il ne faut pas avoir envie). Quand y’a une vague de 12-15 pieds qui t’arrive du côté, que tu n’as pas vue venir car il fait noir et il n’y a pas de lune, et qu’elle s’écrase contre le bateau en t’arrosant copieusement, tu te demandes ce que tu es venu foutre ici…
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À minuit, Bernard prend son quart, et je descends me coucher dans ma cabine. Oublie ça dormir! Je suis gîtée à 45 degrés donc écrasée contre le mur, le bateau tape les vagues en craquant à chaque fois – quand tu redescend d’une vague de 4 mètres, ce qui fait un étage et demi pour ceux qui ont besoin d’une conversion, t’as vraiment l’impression de tomber dans le vide - il fait froid et humide, et le bruit est assez intense. Sans parler du sentiment de profonde insécurité qui te dit que peut-être que tu ne devrais pas être là…
Vers 02h00, n’ayant pas fermé l’œil, je sens le vent forcir et je monte sur le pont pour voir si Bernard est OK. Il est accroché à la barre. Je fais un point de navigation sur la carte, ce que nous essayons de faire aux heures, et je vois que le vent et le courant nous ont déviés. On appelle Robin qui dort pour venir faire un virement de bord et repartir dans l’autre direction pour 3-4 heures, histoire de nous remettre sur notre route. Et hop au large!!! Je retourne me coucher car j’ai un quart à prendre à 06h00, mais peine perdue - je ne dormirai pas. À 6h00 je monte, je prend la barre. Il fait toujours nuit noire car nous sommes à la limite ouest du fuseau horaire, le soleil ne se lèvera pas avant 8h15. Le vent n’a pas baissé, la mer est toujours grosse. Mais tout est OK, le bateau tient le coup, y’a juste les humains dedans qui sont un peu secoués et fatigués!
Le jour se lève, et la mer ne redescendra que vers midi. Nous sommes tous fourbus, moi je réussis à dormir 2-3 heures quand mon quart finit à 9h00. Nous n’avons pas mangé, et en matinée l’électronique du bord lâche. Tout : pilote automatique, lecteur de vent, lecteur de vitesse, Navtex (système de communication qui envoi les messages et la météo), radio VHF. L’alternateur ne charge plus les batteries, merde! Je découvre que la VHF d’urgence, qui marche à batterie, n’est pas chargée… je rage. Moi qui aime bien les choses en ordre, voilà que j’ai un skipper un peu brouillon, et certaines choses qui auraient dues être vérifiés ne l’ont pas été. Heureusement, le vent s’est un calmé, la mer aussi, il fait jour et ensoleillé et nous sommes en vues des côtes portugaises. Nous arriverons finalement à Lagos, notre point de destination, vers 19h00 le lendemain soir. Sans heurts, juste de la fatigue extrême et quelques sueurs froides.
Suite à cette traversée, ma bulle pète un peu. Je me sens loin, seule; j’ai un coup de cafard. Que diable suis-je venue faire ici? Je suis grognon, je suis en colère un peu contre ce bateau où tout pète, une chose après l’autre. Y’a un gros nuage noir qui me suit ce soir…
Nous sommes sortis souper à Lagos, qui est une jolie ville hyper touristiques bourrées de vieux British à la retraite plein de cash qui ont des immenses bateaux à voile avec lesquels vraisemblablement ils ne font que des ronds dans l’eau. Nous sommes tellement fatigués qu’on s’adresse avec peine la parole à table… nous allons faire un gros dodo de bonne heure, demain il fera beau, nous serons reposés et la vie sera à nouveau rose!
P.S. Si vous avez le goût de m’écrire, ça serait gentil… j’aimerais avoir de vos nouvelles. Ça se pourrait que je ne puisse pas répondre personnellement, les wifi aux marinas sont plutôt incertains. Mais je les lirai avec plaisir!
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